LES FOUS D’AVRIL
ABANDONNE TOUT ESPOIR, TOI QUI PÉNÈTRES ICI peut-on lire, barbouillé en lettres de sang au flanc de la Chemical Bank, presque au coin de la Onzième Rue et de la Première Avenue, en caractères assez grands pour être lisibles du fond du taxi qui se faufile dans la circulation au sortir de Wall Street, et à l’instant où Timothy Price remarque l’inscription un bus s’arrête et l’affiche des Misérables collée à son flanc lui bouche la vue mais cela ne semble pas contrarier Price, qui a vingt-six ans et travaille chez Pierce & Pierce, car il promet cinq dollars au chauffeur s’il monte le son de la radio, qui passe Be My Baby sur WYNN, et le chauffeur, un Noir, un étranger, obtempère.
— Je suis inventif, dit Price. Je suis créatif, je suis jeune, sans scrupules, extrêmement motivé et extrêmement performant. Autrement dit, je suis foncièrement indispensable à la société. Je suis ce qu’on appelle un atout. » Price se calme, il continue de regarder fixement par la vitre sale du taxi, probablement le mot PEUR bombé en rouge sur la façade d’un McDonald’s, au coin de la Quatrième et de la Septième. « En fait, il n’en reste pas moins que personne n’en a rien à foutre de son travail, moi, je déteste mon travail, et toi, tu m’as dit que tu détestais le tien. Et qu’est-ce que je suis censé faire ? Retourner à Los Angeles ? Il n’y a aucune alternative. Je ne suis pas passé de l’UCLA à Stanford pour supporter cela. Je veux dire, est-ce que je suis le seul à penser qu’on ne gagne pas assez ? » Comme dans un film, un autre bus entre dans le champ, et une autre affiche des Misérables occulte l’inscription — ce n’est pas le même bus, car quelqu’un a écrit le mot GOUINE sur le visage d’Éponine.
— J’habite un clapier, ici. Et j’ai une maison dans les Hamptons. C’est invraisemblable.
— Les parents, mon vieux, les parents.
— Mais je leur achète l’appartement. Tu montes le son, oui ou merde ? Il claque vaguement des doigts en direction du chauffeur, tandis que les Crystals continuent de brailler dans le poste.
— Je suis à fond, répond sans doute le chauffeur. Timothy ne l’écoute pas, il continue d’une voix irritée :
— Si seulement ils installaient des Blaupunkt dans les taxis, je pourrais vivre dans cette ville. Le ODM III dynamic tuning system, ou peut-être le ORC II (et sa voix se fait soudain plus douce). L’un ou l’autre. La classe, mon ami, la grande classe.
Il ôte le walkman haut de gamme qu’il porte accroché autour du cou, et continue de se plaindre.
— J’ai horreur, vraiment horreur, de me plaindre de cette ville, de cette ordure, de cette poubelle, des maladies, de toute cette saleté, et tu sais aussi bien que moi que c’est un sty... Tout en parlant, il ouvre son nouvel attaché-case Tumi en box-calf de chez D.F. Sanders. Il range le walkman à côté de son Easaphone de poche pliant Panasonic (auparavant, il possédait le compact NEC 9000 Porta) et sort un journal.
— Prenons une édition, une seule. Voyons... Des mannequins étranglés, des bébés jetés du toit d’une HLM, des gosses tués dans le métro, un rassemblement communiste, un gros mafieux liquidé, des Nazis... Il feuillette avidement le journal. « Des joueurs de baseball atteints du SIDA, encore des conneries sur la Mafia, les encombrements, les SDF, des maniaques divers, les pédés qui tombent comme des mouches dans la rue, les mères porteuses, la suppression d’un feuilleton télé, des mômes qui ont forcé les grilles d’un zoo pour aller torturer divers animaux et les brûler vifs, encore du Nazi..., et le plus drôle, le plus tordant, c’est que tout ça, ça se passe ici, dans cette ville, pas ailleurs, ici, chez nous, quel pied... attends, tiens, écoute, encore des Nazis, des encombrements, des embouteillages, un trafic de nouveau-nés, des bébés au marché noir, des bébés sidaïques, des bébés camés, un immeuble s’effondre sur un bébé, un bébé maniaque, des bouchons, effondrement d’un pont... Il s’interrompt, reprend son souffle et déclare, le regard fixé sur un clochard, au coin de la Deuxième et de la Cinquième : C’est le vingt-quatrième que je vois aujourd’hui. Je les ai comptés. Puis, sans détourner le regard : Pourquoi portes-tu ton blazer en laine bleu marine avec un pantalon gris ? Price, lui, porte un costume laine et soie Ermenegildo Zegna à six boutons, une chemise de coton Ike Behar à poignets mousquetaire, une cravate de soie Ralph Lauren, et des chaussures en cuir bicolore Fratelli Rossi. Il parcourt le Post. Il y a un article moyennement intéressant à propos d’une double disparition à bord du yacht d’une personnalité new-yorkaise moyennement en vue, tandis que le bateau faisait le tour de l’île de Manhattan. Les indices se résument à quelques éclaboussures de sang et trois coupes de Champagne fracassées. La thèse du crime est avancée, et la police pense que l’assassin a pu se servir d’une machette, à cause de certaines éraflures et entailles découvertes sur le pont du bateau. On n’a pas retrouvé les corps. Il n’y a pas de suspect. Price, aujourd’hui, a commencé à jacter au déjeuner, il a remis ça durant sa séance de squash, puis au Harry’s, où il a continué de délirer devant ses trois J&B à l’eau, quoique de manière plus intéressante, à propos du portefeuille Fischer, dont s’occupe Paul Owen. Price ne sait pas se taire.
— La maladie ! s’exclame-t-il, et la souffrance se lit sur son visage. La dernière théorie en date, c’est que, si tu peux attraper le SIDA, en faisant l’amour avec un partenaire contaminé, alors, tu peux attraper n’importe quoi de la même manière, virus ou non — la maladie d’Alzheimer, la myopathie, l’hémophilie, la leucémie, l’anorexie, le diabète, le cancer, la sclérose en plaques, la tumeur de la vessie, la paralysie cérébrale, la dyslexie, non mais, tu imagines : la chatte qui rend dyslexique...
— Je n’en suis pas sûr, mon vieux, mais je ne crois pas que la dyslexie soit un virus.
— Qui sait ? Ils n’en savent même rien. Va le prouver...
Au-dehors, sur le trottoir, des pigeons noirs et boursouflés se disputent des miettes de hot-dog devant un Gray’s Papaya sous le regard indolent des travestis, une voiture de police remonte silencieusement la rue à contresens sous un ciel bas et gris et, dans un autre taxi bloqué par la circulation, juste en face, un type qui ressemble fort à Luis Carruthers adresse un signe de la main à Timothy, un signe que Timothy ne lui rend pas, et le type — cheveux plaqués en arrière, bretelles, lunettes à monture de corne — se rend compte qu’il s’est trompé et retourne à son USA Today. Il y a une vieille clocharde, laide, avec un cabas. Elle parcourt le trottoir du regard, un fouet à la main. Elle vise les pigeons, qui s’en moquent, et continuent de picorer et de se battre, affamés, pour des reliefs de hot-dog, tandis que la voiture de police disparaît dans un parking souterrain.
— Mais tu vois, quand tu en arrives à réagir à tout ce qui se passe en acceptant tout en bloc, complètement, quand ton corps est en quelque sorte en phase avec la folie ambiante, et que tu en arrives à trouver du sens à tout cela, quand tout baigne, tu vois débarquer une espèce de négresse paumée, complètement zonée, qui va exiger — tu m’entends, Bateman, exiger — qu’on la laisse dehors, sur le trottoir, dans les rues, dans cette rue, tu vois, celle-là — il désigne la rue —, et nous avons un maire qui refuse de l’écouter, un maire qui ne veut pas laisser cette salope faire ce qu’elle a envie de faire, et la laisser crever de froid, cette salope, la laisser crever dans sa misère, comme elle l’a voulu, et toi, tu te retrouves comme un gland, tu ne comprends plus rien, tu t’es fait baiser... Vingt-quatre, non, vingt-cinq... Qui y aura-t-il chez Evelyn ? Attends, laisse-moi deviner. » Il lève une main parfaitement manucurée : « Ashley, Courtney, Muldwyn, Marina, Charles — j’ai tout bon, jusque-là ? Peut-être une de ses amies ‘‘artistes’’ venue du fin fond de l’East Village, tu vois, le genre à demander à Evelyn si elle n’a pas un bon chardonnay blanc bien sec. » Il se frappe le front avec la paume, ferme les yeux, et poursuit, marmonnant entre ses dents serrées : Je pars. Je plaque Meredith. Toujours prête, toujours d’accord. C’est terminé. Elle a à peu près autant de personnalité qu’une animatrice de jeu télévisé. Je ne sais pas comment j’ai pu mettre si longtemps à m’en rendre compte... Vingt-six, vingt-sept... Enfin, je lui explique que je suis un être sensible. Je lui ai dit que l’accident de Challenger m’avait complètement bouleversé — qu’est-ce qu’elle veut de plus ? Je suis un être moral, tolérant, enfin, je suis parfaitement satisfait de ce que je vis, optimiste quant à l’avenir, tu vois — pas toi ?
— Bien sûr, mais...
— ... et tout ce qu’elle me renvoie, c’est de la merde... Vingt-huit, vingt-neuf, la vache, c’est la cour des miracles, ici. Je te dis qu’... » Il s’interrompt brusquement, comme épuisé et, se rappelant soudain une chose importante, il se détourne d’une nouvelle affiche des Misérables et demande ;
— Tu as lu l’histoire à propos de cet animateur de jeux, à la télé ? Celui qui a tué deux ados ? Une pédale pourrie. Marrant, c’est vraiment marrant.
Price attend une réaction. En vain. Soudain, ils sont dans l’Upper West Side.
Il dit au chauffeur de s’arrêter au coin de la Quatre-vingt-unième et de Riverside, car la rue a l’air d’être en sens interdit.
— Pas la peine de faire le tour... fait Price.
— Je vais peut-être faire le tour par l’autre côté, dit le chauffeur.
— Pas la peine. » Puis, en un aparté clairement audible, grinçant des dents, l’air mauvais : Enfoiré d’abruti.
Le chauffeur arrête le taxi. Derrière, deux autres taxis klaxonnent à mort, et nous dépassent.
— Faut-il apporter des fleurs ?
— Nooon. Bon Dieu, c’est toi qui la baises, Bateman. Pourquoi devrions-nous apporter des fleurs à Evelyn ? Débrouille-toi pour avoir de la monnaie sur cinquante », dit-il au chauffeur, jetant un coup d’œil sur les chiffres rouges inscrits au compteur. « La vache. C’est les amphés. Désolé d’être aussi nerveux.
— Je croyais que tu avais arrêté.
— Ça m’a donné de l’acné sur les bras et les jambes, et le bain UVA n’y changeait rien, alors je suis allé dans un institut de bronzage, et je m’en suis débarrassé. Bon Dieu, Bateman, si tu pouvais voir mon estomac... déchiré. Il n’y a pas d’autre mot. Complètement décapé... » dit-il d’un air étrangement lointain, attendant que le chauffeur lui rende la monnaie. « Déchiré. » Il gratifie le chauffeur d’un pourboire minable, cependant celui-ci se montre sincèrement reconnaissant. « Salut, Dugland », lui lance Price avec un clin d’œil.
« Vacherie de vacherie », dit Price en ouvrant la portière. En sortant du taxi, il avise un clochard sur le trottoir — Une cloche : plus dix points — vêtu d’une espèce de combinaison de para, minable, immonde, pas rasé, les cheveux plaqués en arrière par la crasse et, plaisamment, Price lui tient la porte du taxi. Le clochard perplexe, honteux, marmonne quelque chose, le regard rivé au trottoir, tendant vers nous le gobelet en plastique vide qu’il serre d’une main hésitante.
— Il ne veut pas le taxi, je suppose, ricane Price, claquant la portière. Demande-lui s’il prend l’American Express.
— Vous prenez l’AmEx ?
Le clochard hoche la tête et s’éloigne lentement en traînant les pieds.
Il fait froid pour un mois d’avril, et Price descend la rue d’un pas vif, en direction de l’immeuble d’Evelyn, une maison du début du siècle, sifflotant Ah si j’étais riche, balançant son attaché-case de cuir Tumi, son haleine formant de petits panaches de vapeur. Au loin, une silhouette vient à sa rencontre ; l’homme porte les cheveux plaqués en arrière, des lunettes à monture de corne, un costume croisé Cerruti 1881 en gabardine de laine, et tient à la main le même attaché-case de cuir Tumi que Price, et Timothy se demande à voix haute : Serait-ce Victor Powell ? Ça n’est pas possible.
L’homme passe dans l’éclat fluorescent d’un réverbère, l’air préoccupé, un vague sourire retroussant brièvement ses lèvres, et il jette un coup d’œil à Price, presque un regard de reconnaissance, mais il se rend compte aussitôt qu’il ne le connaît pas, et aussitôt Price se rend compte que ce n’est pas Victor Powell, et l’homme passe son chemin.
— Dieu merci, marmonne Price, arrivant à la porte d’Evelyn.
— Il lui ressemblait beaucoup.
— Powell à un dîner chez Evelyn ? C’est à peu près comme si tu portais un imprimé cachemire avec un écossais. Price reconsidère son exemple : Ou plutôt des chaussettes blanches avec un pantalon gris.
Balayant l’idée d’un vague revers de main, il gravit d’un bond le perron de la maison d’Evelyn — maison que son père lui a achetée —, râlant contre lui-même pour avoir oublié de rendre les cassettes qu’il a louées hier soir chez Video Heaven. Il sonne. Une femme sort de la maison voisine — talons hauts, cul superbe — sans verrouiller la porte derrière elle.
Price la suit du regard puis, entendant à l’intérieur des pas traverser le vestibule, venant vers nous, il se détourne et rajuste sa cravate, prêt à toute éventualité. C’est Courtney qui ouvre la porte. Elle porte un corsage Krizia de soie crème, une jupe de cuir rouille, Krizia aussi, et des ballerines d’Orsay en soie et satin, Manolo Blahnik.
Frissonnant, je lui tends mon pardessus Giorgio Armani de laine noire, et elle le prend, effleurant avec précaution ma joue droite pour embrasser l’air à mon oreille, puis répète très exactement l’exercice avec Price, tout en prenant son pardessus Armani. Dans le salon, on entend, en sourdine, le dernier CD de Talking Heads.
— Légèrement en retard, n’est-ce pas, les enfants ? fait Courtney, avec un sourire mauvais.
— Le tax’man. Un Haïtien, nul, grommelle Price, effleurant la joue de Courtney et embrassant l’air à son oreille. Avons-nous une réservation quelque part ? Et, par pitié, ne me dis pas chez Pastels à neuf heures.
Courtney sourit, tout en accrochant les deux pardessus dans la penderie du hall.
— On mange à la maison, ce soir, mes amours. Je suis désolée, je sais, je sais bien, j’ai essayé de dissuader Evelyn... et il y a du sushi au menu.
La contournant, Tim traverse le hall en direction de la cuisine.
— Evelyn ? Mais où es-tu, Evelyn ? lance-t-il d’une voix monocorde. Il faut qu’on parle, tous les deux.
— Ça fait plaisir de te voir, dis-je à Courtney. Tu es très en beauté, ce soir. Tu es rayonnante... rayonnante de jeunesse.
— Tu as vraiment l’art de parler aux dames, Bateman. (Pas l’ombre d’un sarcasme dans sa voix.) Faut-il que je rapporte cela à Evelyn ? minaude-t-elle.
— Non. Mais je parie que cela te ferait assez plaisir.
— Allons, dit-elle, ôtant mes mains de sa taille et posant les siennes sur mes épaules pour me conduire vers la cuisine. Il faut épargner Evelyn. Cela fait une heure qu’elle prépare le sushi. Elle essaye de dessiner tes initiales — le P en sériole du Cap et le B en thon — mais elle trouve le thon trop pâle.
— Quel romantisme...
— Et elle manque de sériole pour finir le B— Courtney reprend sa respiration —, alors je crois qu’elle va composer les initiales de Tim au lieu des tiennes. Ça ne t’ennuie pas ? demande-t-elle, imperceptiblement inquiète. Courtney est la petite amie de Luis Carruthers.
— Je suis affreusement jaloux. Je crois qu’il faut que j’en discute un peu avec elle, dis-je, et Courtney me pousse doucement dans la cuisine.
Evelyn se tient devant le plan de travail en bois blond ; elle porte un chemisier Krizia de soie crème, une jupe de tweed rouille, Krizia aussi, et les mêmes ballerines d’Orsay que Courtney. Elle a attaché ses longs cheveux blonds en arrière, en un petit chignon couture assez sévère, et m’accueille sans lever les yeux du plat ovale en inox de chez Wilton sur lequel elle a artistiquement disposé le sushi.
— Oh, mon chéri, je suis navrée, je voulais qu’on aille dans cet adorable petit bistrot salvadorien qui vient d’ouvrir dans le Lower East Side...
Price émet un gémissement.
— ... mais nous n’avons pas pu obtenir de réservation. Timothy, ça n’est pas la peine de gémir. Elle prend un morceau de sériole et le pose méticuleusement au bord du plateau, terminant ainsi ce qui apparaît être un T majuscule. Elle recule, juge de l’effet.
— Je ne sais pas. Oh mon Dieu, je ne sais vraiment pas.
— Je t’ai dit d’avoir toujours du Finlandia chez toi, marmonne Tim, inspectant le contenu du bar — des magnums, pour la plupart. Elle n’a jamais de Finlandia, ajoute-t-il pour lui-même, pour nous tous.
— Oh, pitié, Timothy. Tu ne peux absolument pas boire d’Absolut ? s’exclame Evelyn, puis, s’adressant à Courtney, l’air méditatif : Je devrais disposer le sushi californien tout autour du plat, tu ne crois pas ?
— Bateman, tu prends quelque chose ? demande Price d’une voix mourante.
— J&B avec de la glace. Je m’aperçois soudain avec surprise que Meredith n’a pas été invitée.
— Oh mon Dieu. C’est une horreur, déclare Evelyn d’une voix oppressée. Je vous jure que je vais fondre en larmes.
— Le sushi est superbe, dis-je d’un ton apaisant.
— C’est une horreur, gémit-elle. Une horreur.
— Non, pas du tout, le sushi est superbe. Et, essayant de la réconforter de mon mieux, je cueille un morceau de nageoire crue et me le fourre dans la bouche, poussant un grognement de plaisir et, attrapant Evelyn par-derrière, la bouche toujours pleine, je parviens à articuler « délicieux ».
Elle me donne une petite tape, visiblement ravie de ma réaction puis, avec mille précautions, effleure ma joue et embrasse l’air à mon oreille, avant de se tourner vers Courtney. Price me tend mon verre et se dirige vers le salon, essayant d’ôter une poussière invisible de son blazer. « Evelyn, tu n’aurais pas une brosse antistatique ? »
J’aurais préféré regarder le match de base-ball à la télé, ou bien aller m’entraîner un peu au gymnase, ou encore essayer ce restaurant salvadorien qui a eu deux bons articles, dans New York et dans le Times, plutôt que de dîner ici, mais le bon côté des dîners chez Evelyn, c’est qu’elle n’habite pas loin de chez moi.
— Cela ne vous ennuie pas, si la sauce de soja n’est pas exactement à température ambiante ? demande Courtney. Je crois qu’il y a de la glace dans un des plats.
Evelyn s’emploie à empiler délicatement de fines lamelles de gingembre orangé à côté d’une soucoupe de porcelaine remplie de sauce de soja.
— Si, c’est très ennuyeux. Écoute, Patrick, tu veux bien être un ange et aller chercher les Kirin dans le réfrigérateur ? Puis, apparemment accablée par le gingembre, elle le jette en vrac sur le plateau : Oh, laisse tomber, je vais y aller moi-même,
Cependant, je me dirige vers le réfrigérateur. Price réapparaît dans la cuisine, le regard sombre.
— C’est qui, dans le salon ?
— Qui ? Evelyn feint de ne pas comprendre.
— Evelyn ! Tu leur as dit, j’espère, intervient Courtney.
— Qui est-ce ? (J’ai peur, tout à coup.) Victor Powell ?
— Non, ça n’est pas Victor Powell, Patrick, répond Evelyn d’un ton négligent C’est Stash, un artiste, un ami à moi. Il est avec Vanden, sa petite amie.
— Oh, alors, c’était bien une fille que j’ai aperçue, dit Price. Va jeter un coup d’œil, Bateman, lance-t-il. Laisse-moi deviner. East Village ?
— Oh, Price, minaude-t-elle tout en décapsulant des bières. Eh bien, pas du tout. Vanden va à Camden et Stash vit à SoHo, voilà.
Je sors de la cuisine, traverse la salle à manger où la table a été dressée — bougies de cire d’abeille de chez Zona allumées dans des chandeliers d’argent de chez Fortunoff —, et passe dans le salon. Impossible de dire ce que porte Stash, la pièce est plongée dans le noir. Vanden a des raies vertes dans les cheveux. Elle est affalée devant un clip de Heavy-Metal sur MTV, et tire sur une cigarette.
— Hum-hum, fais-je.
Vanden me jette un regard méfiant. Sans doute est-elle droguée jusqu’aux yeux. Stash ne bouge pas.
— Salut. Je suis Pat Bateman, dis-je, tendant la main, remarquant au passage mon reflet dans le miroir accroché au mur, avec un sourire de satisfaction.
Elle prend ma main sans rien dire. Stash se met à sentir ses doigts.
Changement de plan. Retour à la cuisine.
— Vire-la d’ici, dit Price, écumant. Elle est complètement cassée devant MTV, et moi, je veux voir ce putain de reportage de McNeil et Lehrer.
— Il ne faut pas tarder à manger ce truc, sinon nous allons tous être empoisonnés, fait remarquer Evelyn d’un air absent, sans cesser de décapsuler de grandes bouteilles de bière d’importation.
— Elle a des raies vertes dans les cheveux, dis-je. Et en plus, elle fume.
— Bateman, dit Tim, sans cesser d’observer Evelyn d’un regard mauvais.
— Oui, Timothy ?
— Tu es un ringard.
— Oh, laisse donc Patrick tranquille, dit Evelyn. C’est un brave garçon sans histoire. Il est comme ça, Patrick. Tu n’es pas un ringard, n’est-ce pas, mon chou ? Evelyn est visiblement à côté de la plaque, et je me dirige vers le bar pour me servir un autre verre.
— Un brave garçon sans histoire, répète Tim avec un sourire affecté, hochant la tête, puis, changeant d’expression, il demande de nouveau à Evelyn, d’un ton hostile, si elle a une brosse antistatique.
Evelyn en termine avec les bouteilles de bière japonaise et demande à Courtney d’aller chercher Stash et Vanden.
— Il ne faut pas tarder à manger ce truc, sinon, nous allons tous être empoisonnés, murmure-t-elle, tournant lentement la tête pour inspecter la cuisine et voir si elle n’a rien oublié.
— Si j’arrive à les arracher à la dernière vidéo de Megadeth, fait remarquer Courtney avant de quitter la pièce.
— Il faut que je te parle, dit Evelyn.
— De quoi ? dis-je, m’approchant d’elle.
— Non. À Price, dit-elle, désignant Tim.
Tim continue de la regarder d’un air furieux. Je me tais, le regard fixé sur son verre.
— Sois un amour, me dit-elle, va poser le sushi sur la table. Les beignets de seiche sont dans le micro-ondes et le saké va bientôt bouillir... Sa voix se perd, tandis qu’elle entraîne Price hors de la cuisine.
Je me demande où Evelyn a trouvé le sushi — du thon, de la sériole, du maquereau, des crevettes, de l’anguille, et même de la bonite —, tout cela d’une fraîcheur parfaite. Il y a aussi des petits piments et de petits tas de gingembre, disposés stratégiquement autour du plat de chez Wilton. Mais j’aime aussi cette idée que je ne sais pas, que je ne saurai jamais, que je ne lui demanderai jamais d’où vient tout cela, et que le sushi trônera au centre de la table de chez Zona que le père d’Evelyn lui a achetée comme quelque apparition mystérieuse venue d’un lointain Orient, et en posant le plateau, j’aperçois mon propre reflet sur la table. Ma peau semble plus sombre, à cause de la lumière des bougies, et je me félicite de la coupe de cheveux que Gio m’a faite mercredi dernier. Je me sers un autre verre. Légère inquiétude à propos du taux de sodium dans la sauce de soja.
Nous sommes quatre autour de la table à attendre le retour d’Evelyn et de Timothy, qui sont allés chercher une brosse antistatique pour Price. Je suis assis en bout de table, buvant mon J&B à grandes lampées. Vanden a pris place en face, elle parcourt vaguement Imposture, un torchon de l’East Village dont la manchette proclame LA MORT DU QUARTIER. Stash a planté sa baguette dans un morceau de sériole du Cap et l’a laissé là, esseulé au milieu de son assiette, comme un insecte luisant empalé sur la baguette qui se dresse dans son dos. De temps en temps, il lui fait faire le tour de l’assiette, mais sans jamais lever les yeux vers moi, ni Vanden ni Courtney qui, assise à côté de moi, sirote du vin de prune dans une flûte à Champagne.
Il y a peut-être vingt minutes que nous sommes assis lorsque Evelyn et Timothy réapparaissent. Evelyn est à peine rouge. Tim me jette un sale regard en s’asseyant sur la chaise voisine de la mienne, après s’être servi un nouveau verre, et se penche vers moi, prêt à dire, à avouer quelque chose, quand Evelyn intervient brusquement : « Pas ici, Timothy. Un homme, une femme, un homme, une femme », ajoute-t-elle dans un murmure, lui désignant vaguement la chaise libre à côté de Vanden. Timothy tourne son regard vers Evelyn et s’installe d’un air hésitant à côté de Vanden, qui bâille et tourne la page de son magazine.
— Eh bien, les enfants... fait Evelyn, souriante, satisfaite de son dîner, allez-y, piochez... » Elle manque un instant de perdre contenance en remarquant que Stash a déjà piqué un morceau de sushi — il est penché sur son assiette et semble chuchoter quelque chose au poisson cru —, mais elle sourit crânement et demande d’une voix chantante si quelqu’un veut encore un peu de vin de prune.
Le silence règne. Enfin, Courtney lève un verre hésitant, les yeux rivés sur l’assiette de Stash, et déclare avec un sourire forcé : C’est... c’est délicieux, Evelyn.
Stash reste muet. Bien qu’il se sente probablement mal à l’aise, assis à cette table, car il n’a rien de commun avec les autres convives mâles — pas de cheveux plaqués, ni de bretelles, ni de lunettes à monture de corne, des vêtements noirs qui tombent mal, aucun besoin pressant d’allumer un cigare et de le téter, une incapacité probable à obtenir une table chez Camols, un revenu dérisoire —, son attitude est assez déconcertante ; il demeure ainsi, comme hypnotisé par le morceau de sushi miroitant et, à l’instant où tout le monde va finir par se désintéresser de lui, détourner le regard et se mettre à manger, il se redresse brusquement et, tendant vers le plat un doigt accusateur, déclare d’une voix forte : Il a bougé !
Timothy lui jette un regard empreint d’un mépris si total que je ne pourrai jamais complètement l’imiter, mais en me concentrant, je réussis cependant à en approcher. Vanden semble trouver cela amusant, ainsi que Courtney, hélas. Je commence à me demander si elle ne trouve pas ce singe séduisant, mais j’imagine que moi aussi, je lui trouverais peut-être du charme, si je sortais avec Luis Carruthers. Evelyn émet un rire bon enfant et déclare : « Oh, Stash, tu es vraiment un numéro », avant de proposer de la Tempura à la cantonade, l’air anxieux. Evelyn est cadre supérieur dans une société financière, la FYI.
— J’en prendrais volontiers, dis-je, cueillant sur le plateau un morceau d’aubergine que je ne mangerai pas, car elle est frite.
Les convives commencent à se servir, s’employant avec succès à ignorer Stash. Je regarde fixement Courtney. Elle mastique, avale.
Tentant de lancer la conversation, Evelyn déclare, après ce qui paraît être un silence lourd de réflexion :
— Vanden va à Camden.
— Oh, vraiment ? fait Timothy d’une voix glaciale. Où est-ce ?
— Dans le Vermont, répond Vanden sans lever les yeux de son journal.
Je jette un coup d’œil à Stash, pour voir s’il est satisfait de ce mensonge éhonté, mais il fait comme s’il n’écoutait pas, comme s’il était dans une autre pièce, ou dans une quelconque boîte de rock des bas-fonds, et chacun autour de la table fait de même, ce qui m’agace, car, j’en suis à peu près sûr, nous savons tous ici que Camden se trouve dans le New Hampshire.
— Et vous, où êtes-vous allée ? demande Vanden en soupirant, s’apercevant enfin que personne ne s’intéresse à Camden.
— Eh bien, je suis allée au Rosay, commence Evelyn, et ensuite dans une école de commerce en Suisse.
— Moi aussi, j’ai subi l’épreuve de l’école de commerce en Suisse, dit Courtney. Mais j’étais à Genève. Evelyn a été à Lausanne.
Vanden jette son numéro de Imposture à côté de Timothy, avec un sourire affecté, sournois et niais, et je suis un peu contrarié de voir qu’Evelyn ne lui renvoie pas sa condescendance en pleine figure. Cependant, le J&B m’a si bien détendu que je n’éprouve nullement le besoin d’intervenir. Sans doute Evelyn pense-t-elle que Vanden est gentille, un peu perdue, dépaysée, que c’est une artiste. Price ne mange rien. Evelyn non plus. La cocaïne, peut-être, mais cela m’étonnerait. Avalant une grande lampée, Timothy ramasse le numéro de Imposture et émet un rire bas.
— La Mort du Quartier, dit-il ; puis, désignant le gros titre, mot par mot : Qu’est-ce qu’on en a à foutre ?
Je suppose que Stash va immédiatement lever la tête de son assiette, mais il continue de fixer son morceau de sushi esseulé, souriant tout seul et dodelinant.
— Hé ! fait Vanden comme si on l’avait insultée, nous, cela nous touche de près.
— Oh oh oh, fait Tim, haussant le ton, cela nous touche de près ? Et les massacres au Sri-Lanka, ma chérie ? Cela ne nous touche pas de près ? Le Sri-Lanka, vous voyez ?
— Bah, c’est une boîte sympa, dans le Village, répond Vanden avec un haussement d’épaules. Ouais, ça nous touche aussi. Stash prend soudain la parole, sans lever les yeux.
— C’est le Tonka. » Il a l’air exaspéré, mais il a parlé d’un ton égal, sans élever la voix, et sans quitter des yeux son morceau de sushi. « La boîte s’appelle le Tonka, pas le Sri-Lanka. Compris ? Le Tonka. »
Vanden baisse les yeux. « Oh », fait-elle d’un air soumis.
— Je veux dire, vous n’avez jamais entendu parler du Sri-Lanka ? Jamais entendu parler des Sikhs qui massacrent de l’Israélien à la tonne, là-bas ? insiste Timothy d’un ton vif. Ça, ça ne nous touche pas de près, peut-être ?
— Qui veut du kappamaki ? l’interrompt Evelyn d’une voix enjouée, présentant un plat.
— Allons, Price, dis-je. Il y a des problèmes plus préoccupants que celui du Sri-Lanka. Évidemment, notre politique étrangère est un sujet important, mais il existe vraiment des problèmes plus pressants chez nous.
— Quoi, par exemple ? demande-t-il, sans quitter Vanden des yeux. À propos, pourquoi y a-t-il un glaçon dans ma sauce de soja ?
— Ça n’est pas cela, dis-je d’une voix hésitante. Eh bien, déjà, il faut en finir avec l’apartheid. Il faut enrayer la course à l’armement nucléaire, le terrorisme et la faim dans le monde. Il faut se garantir une défense nationale solide, empêcher le développement du communisme en Amérique centrale, travailler à un plan de paix au Proche-Orient, éviter l’engagement militaire américain outre-mer. Nous devons faire en sorte que l’Amérique soit respectée en tant que puissance mondiale. Bon, il ne s’agit pas pour autant de minimiser nos problèmes intérieurs, qui sont aussi importants, sinon plus. Il faut mettre au point un système d’assistance médicale permanente pour les personnes âgées qui soit plus efficace et plus abordable, il faut contrôler l’épidémie de SIDA et trouver un vaccin, mettre au point une action écologique pour nous débarrasser des déchets toxiques et remédier aux ravages de la pollution, améliorer la qualité de l’enseignement primaire et secondaire, durcir les lois et prendre des mesures sévères contre les délinquants et les trafiquants de drogue. Il faut aussi mettre les études supérieures à la portée des classes moyennes et assurer une protection sociale aux plus âgés, sans oublier la protection des richesses naturelles et des espaces vierges, et réduire l’influence des comités d’action politique.
Tout le monde me regarde d’un air gêné, même Stash, mais une fois lancé, je suis incapable de m’arrêter.
— Mais du point de vue économique, nous sommes toujours dans une situation catastrophique. Nous devons trouver un moyen de limiter le taux d’inflation, et de réduire le déficit. Il nous faut également proposer des formations et procurer des emplois aux chômeurs, ainsi que protéger la main-d’œuvre américaine d’une immigration injustifiée. Nous devons faire de l’Amérique le leader en matière de technologies de pointe. Parallèlement, il faut promouvoir la croissance économique et augmenter le volume des affaires, tout en veillant à limiter les impôts fédéraux et à abaisser les taux d’intérêt, et donner les moyens de vivre aux petites entreprises en contrôlant l’action des repreneurs et les fusions avec les grosses sociétés.
Price manque de régurgiter sa gorgée de vodka après cette dernière réflexion, mais j’essaie de les regarder tous dans les yeux, en particulier Vanden qui, si elle laissait tomber les raies vertes et le cuir et s’efforçait d’avoir meilleure mine — en suivant des cours d’aérobic par exemple, et en mettant un chemisier, un truc de Laura Ashley, je ne sais pas — pourrait éventuellement être jolie. Mais pourquoi couche-t-elle avec Stash ? Il est mal foutu, blême, il a une mauvaise coupe de cheveux et au moins quatre kilos de trop ; aucune trace de muscle sous le T-shirt noir.
— Mais nous ne pouvons pas non plus ignorer nos nécessités sur le plan social. Il faut empêcher les gens d’abuser de notre système de protection. Il faut procurer de la nourriture et des abris à ceux qui sont à la rue, et lutter contre la discrimination raciale en se battant pour les droits du citoyen, tout en faisant valoir l’égalité du droit pour les femmes, mais en modifiant la loi sur l’avortement afin de protéger le droit à la vie, tout en parvenant cependant à sauvegarder la liberté de choix pour les femmes. Il faut aussi contrôler le flux de l’immigration clandestine. Nous devons promouvoir un retour aux valeurs morales traditionnelles et réprimer l’abus de sexe et de violence à la télé, dans les films, dans la musique, partout. Et plus que tout, il nous faut développer la conscience sociale du pays, et faire en sorte que la nouvelle génération soit moins matérialiste. Je finis mon verre. Tout le monde me regarde. Le silence est total. Courtney sourit d’un air satisfait. Timothy se contente de secouer la tête avec incrédulité, stupéfait. Evelyn, complètement décontenancée par le tour qu’a pris la conversation, se lève en vacillant un peu, et demande si quelqu’un prendra du dessert...
— J’ai des sorbets, déclare-t-elle d’un air hébété. Kiwi, carambole, cherimolle, fruit du cactus et... Ah, comment est-ce, déjà ?... Elle interrompt sa litanie médiumnique et tente de retrouver le dernier parfum. Ah oui, poire du Japon.
Personne n’ouvre la bouche. Tim me lance un bref regard. Je jette un rapide coup d’œil à Courtney, croise le regard de Tim, et regarde Evelyn. Evelyn croise mon regard, et jette un coup d’œil inquiet à Tim, puis à Courtney, puis de nouveau à Tim, qui me lance un nouveau coup d’œil avant de déclarer lentement, d’une voix mal assurée : Poire du cactus.
— Fruit du cactus, corrige Evelyn.
Je jette un regard suspicieux à Courtney qui annonce : Cherimolle, et je dis : Kiwi. Kiwi, dit aussi Vanden.
— Copeaux de chocolat, annonce Stash d’une voix calme, détachant bien les syllabes.
L’angoisse palpite un instant sur le visage d’Evelyn, immédiatement remplacée par une expression enjouée, particulièrement réussie.
— Oh, Stash, dit-elle en souriant, tu sais bien que je n’ai pas de copeaux de chocolat, ce qui, note bien, serait un parfum étrange pour un sorbet. Je t’ai dit que j’ai de la cherimolle, de la poire du cactus, de la carambole, je voulais dire fruit du cactus...
— Je sais. Je ne suis pas sourd, dit-il en lui faisant signe de se taire. Trouve quelque chose de plus marrant.
— Très bien, dit Evelyn. Courtney ? Tu veux bien venir m’aider ?
— Bien sûr. Courtney se lève, et je la suis des yeux, tandis qu’elle disparaît dans la cuisine en faisant claquer ses talons.
— Pas de cigare, les garçons ! crie Evelyn de la cuisine.
— Bien sûr que non, répond Price en remettant le cigare dans la poche de sa veste.
Stash continue d’observer son sushi, avec une intensité qui m’intrigue, et je finis par lui demander, espérant qu’il saisira l’ironie de ma question : Aurait-il... euh, recommencé à bouger, par hasard ?
Vanden a dessiné une tête de Smiley sur son assiette avec toutes les petites barquettes du sushi californien. Elle la soumet à l’approbation de Stash. « Super, hein ? »
— Sympa, grogne Stash.
Evelyn revient avec les sorbets dans des verres tulipe de l’Odéon et une bouteille de Glenfiddich non entamée, qui demeure intacte tandis que nous mangeons nos sorbets.
Courtney doit nous quitter de bonne heure pour rejoindre Luis à une soirée au Bedlam, une nouvelle boîte au sud de Manhattan. Stash et Vanden partent peu après, déterminés à trouver un « plan » quelconque à SoHo. Moi seul ai vu Stash prendre le morceau de sushi dans son assiette et le glisser dans la poche de son bomber de cuir vert. J’en glisse un mot à Evelyn tandis qu’elle remplit le lave-vaisselle, et elle me lance un regard si haineux qu’il y a peu de chance que nous fassions l’amour ce soir. Mais je reste, quoi qu’il en soit. Price aussi. Il est maintenant allongé sur un tapis d’Aubusson fin dix-huitième, dans la chambre d’Evelyn, en train de boire un espresso dans une tasse de chez Ceralene. Je suis allongé sur le lit d’Evelyn, tenant dans mes bras un coussin de tapisserie de chez Jenny B. Goode, dégustant un verre d’Absolut à la crème d’airelle. Evelyn se brosse les cheveux, assise devant sa coiffeuse, son corps ravissant drapé dans un peignoir Ralph Lauren rayé blanc et vert, observant son reflet dans le miroir.
— Suis-je le seul à m’être aperçu du comportement de Stash envers son sushi, comme si c’était — je tousse avant de conclure — un petit animal ?
— Je t’en prie, renonce à inviter tes amis ‘‘artistes’’ à tes dîners, dit Tim d’une voix lasse. Je suis fatigué d’être le seul à table à n’avoir jamais discuté avec un extraterrestre.
— Cela ne s’est produit qu’une fois, dit Evelyn, scrutant sa lèvre, perdue dans la sérénité de sa propre beauté.
— Mais c’était à l’Odéon, rien de moins, grommelle Price.
Je me demande vaguement pourquoi je n’ai pas été invité à l’Odéon pour le dîner d’artistes. Evelyn avait-elle réglé l’addition ? Vraisemblablement. Et j’ai soudain une vision d’Evelyn, souriant pour dissimuler son abattement, trônant à table, entourée des amis de Stash, lesquels s’emploient tous à bâtir de petites cabanes de rondins avec leurs pommes de terre frites, à faire comme si leur saumon grillé était vivant en promenant les morceaux autour de la table, chaque tranche de poisson débattant avec l’autre du « paysage artistique » et des nouvelles galeries ; éventuellement, il tentent même de faire pénétrer le poisson dans la cabane de rondins construite en pommes de terre frites.
— Si tu as bonne mémoire, j’ai dit que moi non plus, je n’en avais jamais rencontré, fait remarquer Evelyn.
— Non, mais Bateman est ton petit ami, ça n’est pas rien, s’esclaffe Price, et je lui jette le coussin. Il l’attrape et me le renvoie.
— Laisse Patrick tranquille. C’est un brave garçon sans histoire, dit Evelyn, sans cesser de se masser le visage avec une espèce de crème. Tu n’es pas un extra-terrestre, n’est-ce pas, mon chéri ?
— Cette question mérite-t-elle seulement une réponse ? dis-je avec un soupir.
— Oh, mon amour... Elle fait la moue, me regardant dans le reflet du miroir. Moi, je sais bien que tu n’es pas un extraterrestre.
— Quel soulagement.
— Non, mais Stash était là, à cette soirée à l’Odéon, reprend Price. Puis, me jetant un coup d’œil : À l’Odéon. Tu as entendu, Bateman ?
— Non, il n’écoute simplement pas, dit Evelyn.
— Que si, il écoute. Mais il ne s’appelait pas Stash, ce soir-là. Il s’appelait Horseshoe, ou Magnet, ou Lego, ou quelque chose aussi mature, ricane Price. J’ai oublié,
— Mais Timothy, où veux-tu en venir ? demande Evelyn d’une voix accablée. Je ne t’écoute même pas. Elle humecte une boule de coton, se la passe sur le front.
— Eh bien, il est question de l’Odéon, dit Price, se redressant non sans effort. Et ne me demande pas pourquoi, mais je me souviens parfaitement l’avoir entendu commander un cappuccino de thon.
— Carpaccio, corrige Evelyn.
— Non, Evelyn chérie, amour de ma vie. Je l’entends encore commander le cappuccino de thon, dit Price, levant les yeux au ciel.
— Il a demandé un carpaccio, réplique-t-elle, passant le coton sur ses paupières.
— Un cappuccino, insiste Price. C’est toi-même qui l’as corrigé.
— Et toi, tu ne l’as même pas reconnu, ce soir, contre-attaque-t-elle.
— Oh, mais je me souviens très bien de lui, dit Price, se tournant vers moi. Evelyn parlait de lui comme du ‘‘joyeux culturiste’’. C’est ainsi qu’elle nous l’a présenté. Je te le jure.
— Oh, tais-toi, fait-elle, l’air contrarié, mais elle jette un coup d’œil à Timothy dans le miroir, et lui lance un sourire coquet.
— Je veux dire, cela m’étonnerait que l’on trouve Stash dans les pages mondaines de Women’s Wear, dit Price, lui rendant son regard, assorti d’un sourire carnassier, lubrique. Je m’absorbe dans l’Absolut à la crème d’airelle que je tiens à la main. On dirait un verre de sang dilué, délavé, servi avec un glaçon et une tranche de citron.
— Que se passe-t-il entre Courtney et Luis ? dis-je, espérant détourner leur regard l’un de l’autre.
— Oh mon Dieu, gémit Evelyn, se retournant face au miroir. Ce qu’il y a d’épouvantable avec Courtney, ça n’est pas qu’elle n’aime plus Luis. C’est qu’...
— On lui a annulé son crédit chez Bergdorf ? coupe Price. Je me mets à rire. Nous échangeons une grande claque amicale.
— Non, continue Evelyn, elle aussi mise en joie. C’est qu’elle est réellement tombée amoureuse de son agent immobilier. Une espèce de rat qu’elle a rencontré au Feathered Nest.
— Courtney n’est sans doute pas infaillible, déclare Tim, inspectant ses ongles fraîchement manucurés, mais, mon Dieu, que dire d’une... Vanden ?
— Oh, je t’en prie, pas ça, gémit Evelyn, actionnant vigoureusement sa brosse à cheveux.
— Vanden est un croisement entre... un cardigan The Limited et... un vieux Benetton, dit Price, levant la main, les yeux clos.
— Non, dis-je, essayant de m’introduire dans la conversation. Un vieux Fiorucci.
— Ouais, fait Tim, c’est ça. Il a ouvert les yeux et détaille Evelyn.
— Laisse tomber, dit Evelyn. C’est une fille de Camden. A quoi d’autre peut-on s’attendre, à ton avis ?
— Oh, mon Dieu, gémit Timothy, c’est vraiment usant, ce genre de nana. Et mon petit ami, et comme je l’aime, mais il en aime une autre, et comme je souffre sans lui, mais il ne s’intéresse pas à moi, et blablabla, et blablabla... Mon Dieu, quelle plaie ! Elles y croient, tu vois ? C’est d’une tristesse... Tu n’es pas de mon avis, Bateman ?
— Oui. Elles y croient. Quelle tristesse.
— Tu vois, Bateman est du même avis que moi, dit Price d’un air suffisant.
— Non, certainement pas. (À l’aide d’un kleenex, Evelyn éponge à présent ce dont elle s’est barbouillée.) Patrick n’a rien d’un cynique, Timothy. C’est un brave garçon sans histoire, n’est-ce pas, mon chéri ?
Oh non, oh non, me dis-je tout bas. Je suis un maniaque, une ordure de psychopathe.
— Après tout, peu importe, soupire Evelyn. Évidemment, ça n’est pas la fille la plus brillante du monde.
— Ha ! Ça, c’est l’euphémisme du siècle ! s’esclaffe Price. Mais Stash n’est pas non plus le type le plus brillant. Un couple idéal. Ils se sont rencontrés sur le téléphone rose, ou quelque chose de ce genre ?
— Laisse-les en paix ! dit Evelyn. Stash a vraiment du talent, et quant à Vanden, je suis sûre que nous la sous-estimons.
— Voilà une fille... commence Price, se tournant vers moi, voilà une fille, écoute bien, Bateman, c’est Evelyn elle-même qui me l’a raconté, une fille qui a loué High Noon parce qu’elle croyait que c’était un film sur les... — il avale sa salive — sur les cultivateurs de marijuana.
— Saisissant, dis-je. Mais quelqu’un est-il parvenu à déterminer de quoi vit ce Stash ? J’imagine qu’il a un nom de famille, mais je ne tiens pas à le connaître, non, Evelyn, ne me dis rien.
— Pour commencer, c’est un type parfaitement correct, et gentil, dit Evelyn, sur la défensive.
— Un type qui demande un sorbet aux copeaux de chocolat, bon Dieu ! se lamente Timothy, incrédule. Mais qu’est-ce que cela veut dire ?
Evelyn feint de ne pas entendre. Elle ôte ses boucles d’oreilles Tina Chow. « Il est sculpteur », dit-elle d’une voix coupante.
— Sculpteur mes pieds, dit Timothy. Je me souviens lui avoir parlé, à l’Odéon. (Il se tourne de nouveau vers moi.) C’est à ce moment-là qu’il a commandé un cappuccino de thon, et je suis sûr que si nous n’avions pas été là pour l’aider, il aurait aussi commandé du saumon au lait, et il m’a dit qu’il fournissait les soirées, ce qui signifie ni plus ni moins — je ne sais pas, dis-moi si je me trompe, Evelyn — qu’il est traîteur. Traîteur, voilà ce qu’il est ! s’écrie Price. Traîteur, et pas sculpteur !
— Je t’en prie, du calme, dit Evelyn, s’étalant une nouvelle couche de crème sur le visage.
— C’est comme si tu disais que tu es une grande poétesse.
Timothy est ivre, et je commence à me demander quand il va vider les lieux.
— Eh bien, commence Evelyn, imagine-toi qu’effectivement, j’ai...
— Tu n’es qu’une machine à aligner des mots ! lance Tim. Il s’approche d’Evelyn et se penche près d’elle, observant son reflet dans le miroir.
— N’as-tu pas un peu grossi, Tim ? demande Evelyn d’une voix pensive. Elle examine le visage de Tim dans le miroir. Je te trouve... plus rond.
En manière de représailles, Tim renifle le cou d’Evelyn et demande : Quelle est cette... odeur ensorcelante ?
— C’est Obsession, répond Evelyn avec un sourire charmeur, repoussant doucement Timothy. Obsession. Patrick, tu veux bien éloigner ton ami de moi ?
— Non, non, attends, dit Tim, la flairant bruyamment. Ce n’est pas Obsession. C’est... c’est... Puis, le visage déformé par une horreur feinte : C’est... Oh, mon Dieu, c’est de l’auto-bronzant Instatan !
Evelyn demeure un moment silencieuse, considérant les diverses réactions possibles. Elle examine de nouveau la tête de Price.
— Tu perds tes cheveux ?
— Evelyn, dit Tim, ne change pas de sujet. Cela dit, puisque tu en parles... (Il passe une main sur ses cheveux, l’air sincèrement préoccupé). Trop de gel, tu crois... ?
— Peut-être, répond Evelyn. Bien, maintenant, rends-toi utile et va t’asseoir, je t’en prie.
— Au moins, ils ne sont pas verts, et je n’ai pas essayé de les couper avec un couteau à beurre, déclare Tim, faisant allusion à la teinture de Vanden et à la coupe de cheveux de Stash, définitivement lamentable, visiblement bon marché, et lamentable parce que bon marché.
— Tu as grossi ? demande Evelyn, plus gravement cette fois.
— Mon Dieu, fait Tim, prêt à lui tourner le dos, vexé. Non, Evelyn, je n’ai pas grossi.
— Je te jure que ton visage a l’air..., plus rond, insiste Evelyn. Moins... moins aigu.
— Je n’en crois pas un mot Il plonge son regard dans le miroir. Elle continue de se brosser les cheveux, mais ses gestes sont moins précis, car elle regarde Tim. S’en apercevant, il lui flaire le cou, et je crois bien qu’il lui donne un petit coup de langue. Il sourit.
— Ça n’est pas de l’Instatan ? demande-t-il. Allez, tu peux me le dire. Je reconnais l’odeur.
— Non, dit Evelyn sans sourire. C’est toi qui utilises de l’Instatan.
— Non. Il se trouve que je n’en utilise pas. Je vais dans un salon de bronzage. Je sais bien que c’est cher, mais... Price pâlit. Alors, c’est de l’Instatan ?
— Oh, quel courage, d’avouer que tu vas dans un salon de bronzage... dit-elle.
— Instatan, dit-il avec un rire bas.
— Je ne sais même pas de quoi tu veux parler, conclut Evelyn, agitant de nouveau la brosse à cheveux. Patrick, tu veux bien raccompagner ton ami ?
Price est à présent à genoux, et flaire bruyamment les jambes nues d’Evelyn, qui rit. Je me raidis.
— Oh, mon Dieu, gémit-elle, fiche le camp.
— Tu es orange, dit-il en riant, toujours à genoux, la tête enfouie dans son giron. Tu as l’air tout orange.
— Non, je ne suis pas orange, répond-elle en un long feulement de douleur et d’extase. Espèce de blaireau.
Je les observe, allongé sur le lit. Timothy, à ses genoux, essaie de passer la tête sous le peignoir Ralph Lauren. Evelyn, rejetant la tête en arrière de plaisir, essaie en jouant de le repousser, lui donnant sans conviction de petits coups sur le dos avec sa brosse Jan Hové. Je suis à peu près certain que Timothy et Evelyn sont amants. Timothy est la seule personne intéressante que je connaisse.
— Tu devrais partir », dit-elle enfin, haletante. Elle a cessé de se défendre.
Il lève les yeux vers elle, avec un sourire pour pâte dentifrice. « Vos désirs sont des ordres, Madame. »
— Merci, fait-elle d’une voix où je crois discerner du dépit.
Il se relève. « On dîne ? Demain soir ? »
— Il faut que je demande à mon petit ami, dit-elle, me souriant dans le miroir.
— Tu mettras ta robe noire sexy, celle d’Anne Klein ? murmure-t-il à son oreille, les mains posées sur ses épaules. Puis, toujours murmurant : Pas la peine d’inviter Bateman.
Je ris de bon cœur, et me lève du lit pour le raccompagner.
— Attends ! Mon espresso ! s’écrie-t-il.
Evelyn se met à rire, puis applaudit, comme si elle était ravie de le voir si peu désireux de déguerpir.
— Allez, mon vieux, dis-je, le poussant sans ménagement hors de la chambre. C’est l’heure de faire dodo.
Il parvient encore à lui envoyer un baiser de loin, avant que je ne le fasse sortir. Il demeure parfaitement silencieux, tandis que je le raccompagne jusque dans la rue.
Après son départ, je me sers un cognac dans un grand verre italien et, revenant dans la chambre, je trouve Evelyn au lit, en train de regarder le Club du Télé-Achat. Je m’allonge auprès d’elle, desserre ma cravate Armani. Je lui pose enfin ma question, sans la regarder :
— Pourquoi n’aurais-tu pas une histoire avec Price ?
— Oh, franchement, Patrick... Elle ferme les yeux. Pourquoi Price ? Pourquoi lui ? demande-t-elle d’un ton qui me fait penser qu’elle a déjà couché avec lui.
— Il est riche, dis-je.
— Tout le monde est riche, dit-elle, le regard rivé sur l’écran.
— Il est séduisant, dis-je.
— Tout le monde est séduisant, dit-elle d’une voix lointaine.
— Il a un corps superbe, dis-je.
— Tout le monde a un corps superbe, de nos jours, dit-elle.
Je pose mon verre sur la table de chevet et roule sur elle. Tandis que j’embrasse et lèche son cou, elle fixe un regard passionné sur le récepteur grand écran Panasonic à télécommande, et baisse le son. Je relève ma chemise Armani et pose sa main sur mon torse pour qu’elle palpe cette dureté de statue, cet admirable sillon des abdominaux, et je bande mes muscles, heureux que la pièce soit éclairée, car elle peut ainsi voir combien mon ventre est à présent bronzé et finement sculpté.
— Tu sais, dit-elle d’une voix claire, Stash est séropo. Et... Elle s’interrompt. Quelque chose sur l’écran retient son attention ; elle monte légèrement le son, puis le baisse de nouveau. Et... Je pense qu’il va sans doute coucher avec Vanden, ce soir.
— Parfait, dis-je, mordant doucement son cou, une main posée sur un sein ferme, froid.
— Tu es méchant, dit-elle, légèrement excitée, caressant mes épaules larges et dures.
— Non, dis-je avec un soupir. Je suis ton fiancé, c’est tout.
Au bout d’environ un quart d’heure d’essais infructueux, je renonce à faire l’amour avec elle.
— Tu seras en meilleure forme une autre fois, tu sais, dit-elle.
Je tends la main vers le verre de cognac, et le vide. Evelyn prend sa dose de Parnate, un antidépresseur. Je demeure là, allongé près d’elle, regardant le Club du Télé-Achat — défilent des poupées de verre, des coussins brodés, des lampes en forme de ballon de football, des bagues en zircon —, le son coupé. Evelyn commence à partir.
— Tu utilises du Minoxidil ? demande-t-elle au bout d’un long moment.
— Non, pourquoi ? Je devrais ?
— On dirait que ton front s’agrandit, dit-elle dans un murmure.
— Certainement pas, m’entends-je répondre. C’est difficile à dire. Mes cheveux sont très épais, et je ne peux pas dire si je les perds. Mais cela m’étonnerait beaucoup.
Je rentre chez moi, souhaite le bonsoir à un gardien que je ne reconnais pas — ce pourrait être n’importe qui —, et m’allonge dans mon salon, loin au-dessus de la ville, me dissolvant dans l’écho de The Lion Sleeps at Night, que chantent les Tokens dans le Wurlitzer 1015 rutilant (mais pas aussi bon que le Wurlitzer 850, qui est en revanche plus rare) installé dans un coin du salon. Je me masturbe en pensant d’abord à Evelyn, puis à Courtney, puis à Vanden, puis encore à Evelyn puis, juste avant de jouir un piètre orgasme —, à un mannequin à-demi nu, vêtu d’un maillot d’haltérophile, que j’ai vu ce matin sur une affiche Calvin Klein.